tell me more about you BERLIN + 1996You can spend too much time wondering which of identical twins is the more alike.Charlie est celle qui pousse la porte, comme d’habitude. En tant que seconde-née, et donc en tant qu’aînée, elle est celle qui prend les devants. Qui parle la première. Qui parle en général. Elle rigole plus fort, parle plus vite, court plus, sourit plus. Toi, tu es la calme, la posée. Mais ça, c’est quand vous n’êtes pas toutes seules. Autrement, impossible de savoir qui de vous deux est celle qui se tient, d’habitude, en avant ou en arrière. Vous êtes des plus complices, vous vous comprenez parfaitement. Charlie entre donc la première dans le salon, et elle manque de rentrer dans votre père. Il ne devrait pas être là. En tant qu’employé de mairie, il ne devrait rentrer que dans quelques heures. Vous froncez toutes les deux les sourcils, alors qu’il vous sourit et vous prend dans ses bras. Et il vous somme gaiement d’aller vous asseoir dans la voiture. Vous vous regardez, haussez l’épaule, et vous exécutez. Vous vous installez à l’arrière et votre père au volant. Alors qu’il conduit, il sifflote, tapote joyeusement son tableau de bord avec ses doigts.
« Papa, où on va ? » Il rigole, mais ne réponds pas. De nouveau, tu échanges un regard avec ta sœur, qui n’a pas l’air de comprendre plus que toi. Jusqu’à ce que vous reconnaissiez la route. Lorsque le panneau d’hôpital entre dans votre champ de vision, vous riez toutes les deux, et votre père vous suit. Il arrête la voiture, et il n’a pas encore éteint le moteur que tu es déjà dehors, courant sur le bitume du parking. Tu ne fais pas attention à ta sœur qui t’appelle. Tu entres dans le bâtiment, attends ton papa pour qu’il te dise où aller. Vous vous rendez dans la chambre que l’on vous indique, ouvrez la porte, et tu te jettes presque sur le berceau en plastique du nourrisson, te calmant un peu lorsque la voix douce de ta mère te dit de faire attention. Il n’est pas très beau, ce bébé, mais tu es certaine qu’il le sera plus tard. Tu poses ton sac sur le sol de la pièce, fouille dedans pour en sortir ton stéthoscope en plastique. Tu le poses délicatement sur la poitrine de ton petit frère, glisse les extrémités de tes petites oreilles.
« C’est bon, il respire normalement ! Faut pas que tu t’inquiètes, maman ! » C’est alors qu’on entends un petit bip, et tout le monde se tourne vers la machine devant laquelle Charlie se tenait, les yeux et la bouche grands ouverts.
« Robyn, regarde comme c’est cool ! » Tu cours vers elle, et vous admirez la machine toutes les deux. Quelles gamines de cinq ans se retrouvent ébahies devant une des merveilles de la technologie, où mesure le pouls d’un nourrisson ? Les jumelles Buckley, assurément. Et personne n’avez fini de vous voir faire des choses aussi incroyables qu’adorables.
LONDRES + 2009We are eagles of one nest - the nest is in our soul.« Mais je reviens à Noël ! » Elle s’en allait. Tu l’avais regardé remplir sa valise pendant des mois, et aujourd’hui, elle la balançait sur un tapis roulant dans un aéroport. Elle en avait mis du temps, à faire sa valise. Elle y occupait au grand maximum vingt minutes de ses journées, les seules qu’elle passait autrement qu’en tapant sur son ordinateur, les yeux vissés dessus. Elle avait toujours passé ses journées avec ses ordinateurs et, plus récemment, son téléphone. Son téléphone. Elle ne le quittait jamais. Et elle ne te quittait jamais non plus. Enfin, si, là, elle te quittait. Toi, c’était à Brighton que tu allais étudier, alors qu’elle retournait à Berlin, votre ville natale. L’informatique. Ça lui ira bien. Oui, tu la voyais bien passer les prochaines années de sa vie entourée de geek comme elle était. Tu étais heureuse qu’elle ait trouvé quoi faire, qu’elle aille faire ce qu’elle aimait. Mais toi, tu restais là. A Winston Oaks Hills, la ville dans laquelle tu avais grandi, finalement. Tu allais prendre le train toutes les semaines, le dimanche et le vendredi, pour rentrer voir tes parents et ton petit frère. Mais elle, elle ne rentrerait qu’une fois par an, pour Noël. Tu lui a souri à cette remarque, et tu as senti les premières larmes couler sur ta joue.
« Bordel Char, j’t’avais dit de pas me faire pleurer ! » Votre étreinte dura bien dix minutes. Et elle aurait bien failli être en retard, si tu ne l’avais pas laissée partir. Elle quittait le nid. Pas toi. Mais tu ne lui en voulais pas. Après tout, bien que vous ne fussiez comme une seule et unique âme, vous étiez bien deux corps distincts. Et elle avait le droit d’aller où elle voulait. Alors tu es rentré chez toi, la main de ton petit frère dans la tienne pendant tout le trajet entre Londres et Winston Oaks Hills. Tu as déposé ton sac dans l’entrée de la maison, t’es fait un plateau repas, es montée dans ta chambre pour manger seule. Seule. Elle était partie.
BRIGHTON + 2014Corpses are cold but you’re even colder than themTu frappes à la porte ouverte de la morgue. Elle est immense, cette morgue, tu ne t’y attendais pas. Le type que tu observes depuis quelques secondes se retourne pour te faire face. Ce que tu avais deviné sur lui, grâce à ses cheveux, à sa posture et à ses mains, se confirme alors immédiatement : il n’a absolument l’air d’avoir plus de trente ans. Mais ce que tu n’avais pas deviné, c’est qu’il était beau. Tu t’étais imaginé un maître de stage professionnel du genre, vieux médecin british adorable, comme Ducky dans NCIS. Mais non. Il avait fallu que ce soit Monsieur Beau Gosse. Tu as retiré ton poing de la porte et a pincé tes lèvres, avant de les étirer dans un sourire. Il a pointé son dossier en carton vers toi.
« Buckley, j’ai bon ? » Tu hoche la tête. Il connaissait ton nom ? Comment ? Ah oui, c’est vrai. Le stage.
« Robyn. » Il a haussé les épaules.
« Darcy. Docteur, hein. » Tu opine encore, il s’est retourné de nouveau. Quoi, c’était tout ? Pas de « Votre robe est ravissante » où « j’adore vos cheveux, les boucles vous vont très bien ? » Non, même pas. Ce fut à ton tour d’hausser les épaules. Tu poses ton sac sur une table en métal à côté de toi et, automatiquement, le bras de Darcy se lève.
« Mademoiselle Buckley, il y a un vestiaire, sur votre gauche. » Sérieusement ? Tu retires ton sac de sur la table et te rend dans le vestiaire que le médecin venait de t’indiquer. Un casier était ouvert, et tu devinais qu’il était pour toi. Tu y ranges ton sac, y pend le manteau que tu avais porté à ton bras jusqu’ici. Et tu prends une grande bouffée d’air avant de nerveusement lisser les plis de ta blouse. Qui. Était. Ce. Type. Toi qui avait rêvé de travailler dans un endroit tel que celui-ci – aussi morbide que cela puisse paraître – et qui pensait au jour où tu entrerais dans cette pièce depuis celui où l’on t’avait annoncé que ta demande de stage à la police scientifique de Brighton avait été accepté, tu n’en croyais tes yeux. Le capitaine t’avait prévenue, pourtant. Le médecin légiste, aussi brillant soit-il, n’était pas des plus agréables. Et, au fil des semaines, tu te rendais compte d’à quel point vous étiez différent. Alors que tu avais été habituée à vivre avec ton double parfait, te voilà réduite à travailler avec ton complet contraire. Docteur Darcy était froid, sans joie de vivre, sans sens de l’humeur, ne souriait jamais, n’essayait pas de faire la conversation. Tu avais arrêté d’essayer de détendre l’atmosphère quand tu avais réalisé que rien ne le dériderait. Il était juste Docteur Darcy. Tu ne savais même pas son prénom, en fait. Tu ne savais rien. Seulement qu’il passait quatre-vingt-dix-neuf pour cents de sa vie dans sa morgue, et qu’il n’en sortait que pour aller manger et dormir. Mais tu voulais le voir sourire. Tu ne voulais passer la prochaine année de ta vie avec un pantin.