12 Mars 1997, Paris.

Cher journal,
c’est la première fois depuis que je t’ai reçu pour Noël que je me sers de toi. Moi j’ai toujours penser que c’était pour les filles d’écrire un journal et que si les copains le savaient, ils se ficheraient de moi jusqu’à perpette.. Mais mamie m’a dit que ça me ferait du bien, que je pouvais avoir confiance en toi. Aujourd’hui on est allé faire du skateboard avec papa et papi qui a d’ailleurs fait une chute mémorable ! Papa était un peu grincheux même s’il essayait de le cacher.. Je sais qu’il n’aime pas trop lorsque nous sommes chez ce côté de la famille, en France. Ils se disputent souvent avec maman quelques jours avant le départ et je ne comprends pas pourquoi. J’ai déjà essayer d’en discuter avec mamie mais elle m’a dit que c’était des histoires de grands que je ne pouvais pas comprendre alors j’ai laissé tomber. C’est la première fois depuis longtemps que je me sens aussi bien, aussi à ma place. J’adore Paris, les gens, sa culture, son art. Si je pouvais, je vivrais ici pour l’éternité.
Mince j’entends maman arriver ! Il faut vite que j’éteigne où je vais me faire gronder, le couvre feu est déjà passé depuis un moment.. Bonne nuit, et à demain.

18 Juillet 2003, Paris

Cher journal,
nous sommes enfin de retour à Paris ! Dieu que la ville m’a manqué mais pas autant que papi et mamie. Comme d’habitude, papa n’est pas ravi mais ça ne me surprend pas. Je les ai encore surpris en train de se crier mille injures lorsque nous faisions nos valises avant le départ. Papa est de plus en plus distant et j’ai vraiment l’impression que rien de ce que je fais n’est suffisant pour attirer son attention, le rendre fier. Maman dit que ce n’est pas de sa faute et qu’il est juste dans une mauvaise phase au boulot, que cela finira par passer mais je ne la crois pas. Il est loin le temps où elle me mentait et où je n’y voyais que du feu. Peu importe, je ne vais pas gâcher ce voyage en famille pour un détail tel que celui-là. Papi et mamie , eux, sont contents de me voir et c’est réciproque. J’adore écouter toutes leurs histoires, leur vécu, leur rencontre,.. Le contraste entre eux et mes parents est tellement flagrant. Ils s’aiment comme au premier jour et ne pourrait pas vivre l’un sans l’autre. Ca peut paraître stupide mais je veux ça moi aussi. La passion, les souvenirs, les albums photos, la complicité. Quelque chose qui dure et pas quelque chose qui s’essouffle et s’efface avec le temps. Si je pouvais, j’irais vivre à Paris avec eux tous les jours de l’année. Je suis trop jeune pour l’instant mais un jour je le ferai. Un jour je vivrai mon propre rêve.

23 Septembre 2008, Londres.

J’en ai marre. Marre de cette maison, de cette famille, de cette ville ! Moi ce que je veux c’est voyager, vivre ma vie comme je l’entends mais ce serait beaucoup trop beau. C’est déjà la deuxième année consécutive que mon père refuse que nous allions en France voir mes grands parents. Je ne le supporte plus et j’ai beau faire des efforts, plus le temps passe et plus il m’agace. Où est passé cet homme que j’admirais ? Cet homme dont je voulais être la fidèle copie ? Cet homme aimant, extraverti… heureux. Il n’en existe plus rien si ce n’est des vieilles photos dans des albums. Il n’est plus que l’ombre de lui-même et inconsciemment il m’entraîne dans son chaos. Si je reste ici une semaine de plus je sens que je vais exploser. J’étouffe.
Ma mère ne le comprend plus non plus et si elle reste avec lui je sais qu’elle en est l’unique raison : moi. Elle ne veut pas m’infliger un divorce, le déchirement d’une famille comme elle l’a vécu avant moi. Elle vit un véritable calvaire et pourtant elle a toujours la force d’essayer de me le cacher, de sublimer la vérité cruelle qui nous entoure. Combien de fois j’ai voulu lui proposer qu’on s’enfuit juste elle et moi, qu’on retourne en France là où il ne pourrait nous forcer à revenir. Dans quelques mois je serai majeur dans le pays de la grâce et il ne pourrait plus me contraindre à rien. Je suis épuisé de me battre avec lui, d’essayer de me faire comprendre et de devoir rendre des comptes à chaque souffle que je prends. Il est temps que les choses changent.

03 Fevrier 2009, Londres.

Me voilà piégé, encore une fois. C’est vrai que je n’ai jamais été contre reprendre l’entreprise familiale et prendre le flambeau que me tendrait mon père en prenant sa retraire. J’ai toujours été passionné par son travail : l’architecture, le marché immobilier, la construction. J’étais de ces enfants qui suivaient leur papa au doigt et à l’œil, un casque sur la tête. Je regardais les ouvriers construire son futur empire et j’ai ensuite naturellement aimé marcher dans ces couloirs, m’installer à ces bureaux sur des chaises à roulettes sur lesquelles je tournais sans cesse. Il m’a inculqué ses valeurs mais aussi ses passions mais aujourd’hui je ne suis plus sur de rien.. J’aime l’art et je crois ne pas me tromper en disant que j’y suis plutôt doué. Je ne sais pas ce qui m’a pris de regarder des listes d’écoles dans le monde entier et pire encore, d’envoyer ma candidature. J’ai d’ailleurs été accepté aux beaux arts en France mais je n’ai même pas eu le temps d’en parler à mon père qu’il m’apprenait que j’allais me mettre au boulot. Il disait que le diplôme général que je venais d’obtenir était suffisant, que cela viendrait tout seul. Que plus vite je m’y mettrais, plus vite j’aurais le travail dans la peau et je serais apte à le remplacer en cas de problème. Moi ? Je n’ai rien dit, je n’ai même pas évoqué l’art à vrai dire. Ca me semblait naturel. Il avait besoin de moi alors je répondais à l’appel. Les choses allèrent beaucoup mieux après ça entre nous mais aussi entre mes parents et la famille en général. Je faisais ce qu’il voulait et je ne m’y déplaisais pas totalement. Tout allait donc bien dans le meilleur des mondes.

17 Août 2012, Pennsylvanie

Cher journal,
cela fait longtemps que je n’ai plus écrit. Manque de temps , manque d’envie peu importe. 3 ans. 3ans que j’ai commencé à travailler dans l’entreprise d’immobilier familiale. Je m’attendais à pire à vrai dire. La seule chose négative que j’y vois est la dose de travail que j’ai sur le dos. Je n’ai plus vraiment le temps de sortir et pas même l’occasion de déléguer. Chaque dossier à l’air plus important que le précédent ou en tout cas, trop pour que je le confie à quelqu’un d’autre. Mais je n’ai pas à me plaindre. Je gagne bien ma vie en faisant quelque chose qui me plait depuis toujours. J’ai eu un moment de vide, un moment de black out complet. J’ai voulu bien faire en arrivant dans l’entreprise, m’occuper de tout et je n’ai pas supporté au moins que j’ai du m’arrêter pendant deux semaines consécutives. Mon père était hors de lui, mais maintenant ça va mieux. J’ai appris à gérer mon temps, les dossiers et c’est presque naturel. Plus naturel que faire des rencontres ou chercher l’amour en tout cas. Eternel célibataire n’ayant jamais connu l’amour. Mais ne dit-on pas que nous ne pouvons manquer de quelque chose que nous n’avons jamais connu ? Cela m’importe peu à vrai dire. Même en ayant quelqu’un je ne crois pas être capable de lui offrir tout ce dont elle aurait besoin. Bien trop souvent absent, bien trop souvent préoccupé. Je comprends mieux le caractère de cochon de mon père.

29 Décembre 2014, Londres.

Cher journal,
je suis de retour chez moi pour les fêtes mais pas pour longtemps. L’entreprise marche tellement bien qu’elle va s’étendre , s’implanter dans de nouvelles villes, de nouveaux pays et il compte sur moi pour m’occuper principalement de l’une d’entre elle. J’en serais en quelque sorte le.. Président, mais à l’essai. J’ai plutôt intérêt à faire mes preuves si je ne veux pas le voir débarquer pour tout remettre en ordre et me faire réprimander comme un petit garçon par la même occasion. Winston Oaks Hills, c’est ma destination. Je ne connaissais pas même l’existence de cette ville avant de ne l’entendre de la bouche de mon père mais cela m’a l’air plutôt prometteur. Je ne pars pas du principe que c’est gagné d’avance mais je pense que j’arriverai sans trop de mal à m’intégrer. Enfin.. Je l’espère. Et avec un peu de chance, ces gens auront un gout avisé pour l’art.
Allez, il est tard. Bonne nuit et à une prochaine pour subir mes nouveaux coups de gueule.