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೨ 5 ans, dans une petite maison de banlieue de Le Pirée. ~ 1991
Il est vingt et une heures passées et Ileana, âgée à peine de cinq ans, écoute attentivement ses quatre grands frères comploter, lui expliquant le moindre détail de leur plan. Certes, elle n'y comprend trop rien et ça l'agace. Mais à l'entente du mot "Papa Noël", elle oublie tout son agacement et se contente d'être émerveillée à l'idée de rencontrer ce grand bonhomme vêtu de rouge. La fratrie est serrée dans leur petite chambre, mais l'ambiance chaleureuse des fêtes de fin d'année règne, et l'excitation de la fratrie est palpable. Après tout, chaque enfant se réjouit de recevoir ses cadeaux le jour de Noël au pied du sapin vert, décoré de mille décorations et est heureux de savoir que ce grand homme généreux a mangé un morceau de ses gâteaux et a bu le verre de lait qui lui était destiné. Les cinq enfants Kostas ne font exception à la règle. Cependant, alors que le plan vient d'être achevé et que collés les uns aux autres, ils s'apprêtent à aller passer la nuit dans le salon pour attendre le Père Noël, la porte de leur chambre s'ouvre dans un mouvement ample. Sur le pas de la porte se trouve le père des cinq futurs espions, visiblement mécontent de voir ses progénitures encore réveillées. Son regard noir les assassine du regard et les mots sont superflus pour pouvoir exprimer sa colère passagère. Chacun comprend alors que leur place est sous les couvertures et dans un raffut aussi grand que la fratrie, les frères et la sœur repartent se coucher en riant silencieusement. Quand leur père referme la porte, Ileana est confortablement installée contre le plus grand de ses frères, heureuse de ne pas être seule dans cette situation. Et le silence tombe, signe que le marchand de sable est enfin passé.
೨ 11 ans, dans la cour de récréation. ~ 1997
Ileana est à terre. Elle pleure, le cœur lourd, avec ses genoux égratignés et son poignet plus douloureux. En face d'elle, debout, triomphant, un garçon sourit fier de lui avec ce genre de sourire moqueur et arrogant qui donne envie de vomir. Andreas s'appelle-t-il est la raison pour laquelle la petite Kostas est à terre, pleurant à chaudes larmes. La cause ? Le refus d'aider celui-ci en lui faisant ses devoirs. Ainsi, elle s'est retrouvée poussée par terre, l'avant en premier, tentant désespérément d'amortir la chute avec ses mains. Cependant, son poignet térébrant démontre clairement qu'amortir la chute était peut-être une mauvaise idée. Les surveillants n'ont rien vu et sont bien trop occupés à réprimander un autre élève pour se rendre compte de la méchanceté qui sévit dans cette cour de récréation. Les enfants sont cruels dit-on. En voici la preuve. Andreas se tient toujours au même endroit, fier de son petit effet. Mais l'ombre de quatre personnes s'approche dangereusement. L'un d'entre eux se précipite aux côtés de la petite et lorsqu'elle relève le regard, celle-ci peut apercevoir le sourire réconfortant du quatrième enfant. Alors, elle lui fait un sourire humide tandis que Theophylaktos l'emmène à l'infirmerie. Petros, Silas et Demetrios, les trois plus grands, décident de leur côté, de montrer à ce petit sale gosse ce qu'il se passe quand quelqu'un ose s'en prendre à leur petite sœur.
Résultat : un poignet cassé pour Ileana, un œil au beurre noir plus une heure de colle pour Andreas ainsi que trois heures de colle respectives aux trois ainés.
೨ Bulletin scolaire, 15 ans ~ 2001
Mathématiques : 17/20 - Ileana est une très bonne élève, certes un peu bavarde, mais, qui sait rester agréable. Il serait juste temps qu'elle apprenne à être un peu moins entêtée pour accepter les critiques plus facilement. Continuez dans cette voie.
Histoire-Géographie : 15/20 - Souriante et intéressée, je n'ai jamais vu de ma carrière une élève aussi brillante pour l'histoire, bien qu'elle montre quelques difficultés en géographie. Des efforts sont donc demandés de ce côté-là.
Grec : 18/20 - Travail rigoureux. Ileana s'applique à réussir et c'est tout à son honneur. Cela change de ses frères... Continue ainsi !
Sport : 8/20 - Ileana est de loin la moins sportive de la classe. Cependant, je l'encourage fortement à continuer à persévérer ! Les efforts paient toujours.
Physique : 13/20 - Des efforts non-négligeables, ce trimestre, des notes qui remontent ! On y est presque !
Religion : 6/20 - Sans commentaire...
Anglais : 16/20 - D'une vivacité non commune, Ileana est un des piliers de cette classe. Son état d'esprit et sa participation sont l'un des moteurs de ce cours d'anglais ! Bravo !
Français : 9/20 - La langue de Molière a le mérite d'être compliquée et rares sont les élèves que je voie maîtriser cette langue qui devrait être considérée comme le plus bel art du monde. Toujours est-il que les résultats de Mademoiselle Kostas pourraient être plus satisfaisants si elle n'était pas intimement persuadée d'être mon bouquet mystère. Je suis convaincue que nous pourrions nous entendre comme larrons en foire avec un peu de bonne volonté !
Sciences de la vie et de la terre : 19/20 - Rien à redire sur ce trimestre. Une très bonne élève aux capacités remarquables, bien qu'un peu bavarde et têtue, mais dont la qualité de son apprentissage se reflète dans ses notes.
Grec ancien (option) : 17,5/20 - Souriante et agréable, sa jovialité est un facteur non-négligeable pour une bonne ambiance en cours de grec ancien. Ses notes suivent. Continue ainsi !
೨ Lettre à Hélios ~ Décembre 2011
Mon amour,
J'ai longtemps hésité avant de prendre ce stylo et poser mes ressentiments sur le papier, sachant que jamais, ô plus grand jamais, tu ne lirais ces lettres. Petros, Silas et Demi pensent que cela ne renforcerait que mon mal-être. Mais Theo, lui, m'a encouragée. Selon lui, ce serait peut-être la seule manière de faire mon deuil. À ma façon, en oubliant que le temps passe. Voilà une semaine que ce grand homme, habillé d'un uniforme de la marine, s'est présenté à notre porte. Bien sûr quand j'ai ouvert la porte, j'ai tout de suite su. Tu m'avais prévenue. Si le Colonel de ton régiment se présentait, cela ne pouvait annoncer que ta disparition, que toi aussi, tu étais devenue une de ces étoiles qui brillent dans la nuit et qui veillent sur nous. Et c'est ce qu'il s'est passé. Votre bateau était échoué, vide, sans la moindre vie et les recherches qu'a mené ton régiment, ont abouti à la conclusion que vous étiez tous disparus de la mer, sûrement très loin à l'heure qu'il est. Tu ne peux t'imaginer la douleur flagrante qui m'a touchée à ce moment précis, cette douleur poignardant mon cœur sans lui laisser aucun répit. Je saignais de l'intérieur et j'avais l'impression que l'on avait arraché une partie de moi, que l'on m'avait enlevée quelque chose de vital. Désagréable, horrible, désastreux, nocif, malheureux, toxique, catastrophique. Funeste. Voilà le mot qui convient. Ma douleur était funeste et au fur et à mesure des jours, j'ai l'impression qu'elle ne fait qu'empirer. Je n'ai pas pleuré ce jour-là. Surement trop chamboulée pour le faire. Mais une fois la nuit passée, cela a été l'enfer. Un enfer de vivre sachant que je ne reverrais jamais ce sourire qui t'était si caractéristique. En fait, je crois même que je ne vis plus. Survivre est un terme plus approprié. Survivre essayant de nier chaque émotion qui m'envahit quand je vois nos photos dans notre appartement, cette bague de fiançailles qui orne mon doigt. Et la journée se termine toujours de la même façon, en larmes, seule, abandonnée, n'ouvrant qu'à de rares occasions. Je crois que je vais m'arrêter là. Je pourrais encore écrire de pages sur les souvenirs que m'apportent notre appartement, sur les rêves et les projets que je voyais avec toi, sur mon amour inconditionnel que je te porte. Cependant, je crois que je n'en aurais pas la force, de le faire sans m'effondrer et sans inonder le papier à lettres de mes larmes.
Avec tout mon amour,
Ileana.
೨ Lettre à Hélios ~ Février 2012
Mon cher Hélios,
Cela fait plusieurs semaines que je ne t'ai pas écrit, mais des choses indéniables se sont passées depuis ma toute première lettre, la seule que je t'ai écrite jusqu'à ce jour. Je suis actuellement dans l'avion, à une altitude non-négligeable, direction l'Angleterre. L'avion va atterrir à l'aéroport international de Londres Gatwick puis je prendrais l'autocar pour me diriger vers ma destination finale : Winston Oaks Hills. Je sais que tu dois te demander pourquoi. Pourquoi ai-je décidé de quitter notre beau pays pour aller habiter dans une petite ville de l'Angleterre ? Pourquoi Winston Oaks Hills ? Par où commencer ? J'ai tellement de choses à te dire... Peu après ta disparition, l'économie grecque a continué de chuter. Notre pays continuait de s'enfoncer dans ses dettes et le gouvernement a décidé de faire quelques réarrangements. Au niveau de l'armée, plusieurs régiments ont été fermés. Je pense que ça t'aurait horrifié de voir ce que le pays faisait à notre force armée. Ces réarrangements ont également touché l'enseignement et les effectifs professoraux ont été réduits, trop réduits. Et j'en ai malheureusement fait les frais. J'ai fait partie de ces professeurs qui ont vu leur poste réduit à néant. Oh bien sûr, j'aurais pu en rester là, continuer à chercher du boulot et vivre pendant un temps chez un de mes frères. Et c'est ce que j'ai fait. Pendant plusieurs semaines, j'ai essayé de trouver un boulot, quelque chose qui me permettrait de vivre et aider Silas qui m'a gentiment accueillie chez lui. Seulement, les choses ne se sont pas vraiment déroulées comme prévu. Récemment, j'ai découvert que j'étais enceinte, enceinte de bientôt trois mois pleins. Enceinte de toi. Tu m'as fait le plus beau cadeau que tu n'aurais jamais pu me faire et je ne t'en remercierais jamais assez de me laisser une partie de moi dans ce bébé, cette petite fille. C'est cette découverte qui m'a poussée à quitter le pays. Jamais, ô plus grand jamais, je n'aurais pu vivre dans ces conditions avec en charge un bébé. Cependant, je ne comprends toujours pas comment j'ai pu ignorer la chose à ce point. Je savais que j'avais pris du poids, des seins, c'était d'une évidence à en couper le souffle. Mais je ne pensais pas être enceinte. Aie part la prise de seins, je n'avais pas de nausées, rien. L'absence de mes règles aurait peut-être pu me mettre sur la voie, mais cela ne m'a même pas alarmé. Selon l'avis du gynécologue, si je n'ai pas pris conscience de mon état, c'est tout simplement parce que j'aurais fait un déni de grossesse. À dire vrai, je n'en sais trop rien, mais je lui fais confiance puisque de nous deux, c'est lui le médecin. Etrangement, depuis qu'il m'a révélée ma grossesse, m'a fait prendre conscience du fait qu'un petit être grandissait à l'intérieur de moi et que j'allais donner la vie à mon tour, les signes de la grossesse se sont manifestés. J'ai trouvé ça très étrange, mais plus le temps passe, plus je me réjouis de savoir que j'aurais toujours à mes côté une partie de toi. Je n'ai pas encore décidé du prénom même si je pense lui donner un prénom grec. Néanmoins, j'espère de tout mon cœur qu'elle aura tes yeux clairs et ton sourire éclatant. Maintenant que je t'ai annoncé que tu allais devenir papa d'une petite fille, tu dois sûrement te demander pourquoi j'ai choisi cette ville d'Angleterre. Je ne sais pas si tu te rappelles de la conversation que nous avions eue sur les voyages. Ce jour-là, je t'avais parlé de cette ville d'Angleterre que j'avais visité avec mes parents et mes frères lors d'un voyage en famille. Le seul d'ailleurs. Je l'avais trouvée pleine de charme et de vie et j'en étais vite tombée amoureuse. Amoureuse de cette atmosphère familiale, de cette chaleur qui émanait des maisons de la ville. Cette ville était Winston Oaks Hills et je m'étais promis un jour d'y retourner. Aujourd'hui, j'y retourne pour y vivre. Certes, je laisse derrière moi mes quatre piliers et mes parents, mais, lorsque je leur en ai parlé, ils ont simplement souri et m'ont dit de foncer, que si je suis plus heureuse là-bas, c'est le plus important. Les au revoir ont été difficiles, mais je suis persuadée que je les reverrais très bientôt. Oh... Il faut que je te laisse. L'hôtesse de l'air distribue les repas et j'ai faim. Vraiment faim. Je t'embrasse très fort et je suis persuadée que là où tu es, tu es très heureux et veilles sur moi. Je suis convaincue que tu aurais été le père le plus merveilleux et je ne manquerais pas, je te le promets, de parler de toi à notre fille.
Je t'aime,
Ileana.
೨ 28 ans, à la sortie de la garderie à Winston Oaks Hills ~ 2014
Une petite fille brune continue de jouer avec l'un de ses camarades sous le regard attendrie de sa mère. Elle a les yeux d'une clarté incroyable, ce genre bleu limpide qui fait penser aux eaux de la Grèce. Ses cheveux bruns retombent sur son cou et son rire enfantin s'élève dans la garderie alors qu'elle observe de son regard vif le petit Ellias faire des grimaces. Sa mère, Ileana, est attendrie devant ce spectacle et d'un accord commun avec la mère du petit garçon, elles partent toutes deux récupérer leur enfant respectif. Aglaia dans ses bras, la jeune institutrice dépose un baiser sur sa joue et toutes deux quittent la garderie sans oublier un dernier au revoir au petit Ellias. Il fait beau ce jour-là à Winston Oaks Hills et alors qu'Ileana prend soin d'installer sa petite fille dans le rehausseur, la voix fluette de sa fille lui parvient aux oreilles.
- Veux biscuit.Ileana rit et embrasse tendrement le front de sa fille qui continue d'insister pour avoir des biscuits, tout en enlevant ses souliers. Décidément, Aglaia et les biscuits relèvent de l'histoire d'amour. Alors, devant l'insistance de sa fille, la jeune mère cède et promet à sa fille qu'une fois rentrée à la maison, la petite fille pourra manger un biscuit parmi ceux qu'elle préfère. Et le sourire immense de la jeune enfant qui s'étire sur son visage, suffit à la jeune mère. Ce genre de sourire, c'est ce qu'elle aimerait voir tous les jours sur le visage de porcelaine de sa petite Aglaia. Parce que si sa perle rare est heureuse, alors Ileana l'est aussi.